1. INTRODUCTION
De nombreuses pandémies ont frappé le monde. La fièvre jaune, la grippe H1N1, le Sida, la grippe aviaire, le chikungunya et l’Ébola sont quelques exemples. Le 31 décembre 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été informée que des cas de pneumonie d’origine inconnue avaient été détectés dans la ville de Wuhan, dans la province chinoise du Hubei. Les autorités chinoises l’ont identifié comme un type inconnu de coronavirus (Sars-Cov-2), qui cause la maladie de la COVID-19. Le nombre de cas confirmés de COVID-19 a augmenté rapidement en Chine, se propageant à plusieurs pays dans le monde. En mars 2020, l’OMS a reconnu qu’il s’agissait d’une grave pandémie mondiale, qui s’est déjà propagée à tous les continents1.
Face à la pandémie déclarée et conformément aux recommandations de l’OMS, les pays ont mis en œuvre de multiples mesures de contrôle dans le but de ralentir la transmission de la COVID-19 et de réduire la mortalité causée par ce virus. Bien que non uniformes, plusieurs mesures ont été prises par la presque totalité des pays du monde, telles que la distanciation sociale (v.g., « quarantaine », « confinement », « lockdown »), la fermeture des écoles et des commerces (en tout ou en partie) et l’imposition de certaines restrictions aux frontières et aux déplacements de personnes.
Que ce soit en raison des effets naturels de la pandémie ou en raison des actions restrictives implémentées par les États, il est indéniable que le commerce international et les contrats internationaux sont gravement affectés, occasionnant les conséquences les plus diverses pour les contractants. L’impact le plus évident concerne notamment l’exécution des obligations contractuelles par au moins l’une des parties. La principale question est celle de savoir si les parties peuvent invoquer la pandémie comme fondement de non-exécution de leurs obligations et, dans le cas affirmatif, sur la base de quels concepts et dans quelles conditions. En outre, l’exécution peut être encore possible, mais, en raison du changement des circonstances, elle est devenue manifestement plus difficile et/ou onéreuse. Dans un tel cas, il faut savoir dans quelle mesure il sera possible de renégocier le contrat et de l’adapter aux nouvelles circonstances.
En droit interne des contrats la question se pose souvent et quelques mécanismes typiques du droit des contrats sont actuellement au cœur du débat avec la crise de la COVID-19. Entre eux, nous pouvons mentionner des mécanismes classiques de common law, tels que l’« impossibility », l’« impracticability », le « frustation », le « failure of presupposed conditions », l’« act of God » et la clause de « hardship » ; et aussi, quelques concepts typiques de civil law, tels que la « force majeure », le « cas fortuit » le « fait du prince », et la « théorie de l’imprévision » (ou clause « rebus sic stantibus »). Cependant, les solutions pratiques de l’application de ces mécanismes peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre et, dans certaines juridictions, ces concepts ne sont pas expressément codifiés, et la jurisprudence en la matière n’est pas toujours cohérente. Cela représente un risque additionnel aux contrats commerciaux internationaux.
En ayant comme objectif de guider les opérateurs du droit dans les pays du MERCOSUR à solutionner les conflits contractuels qui apparaissent en raison de crises sanitaires transnationales comme celle de la COVID-19, cet article abordera, dans un premier temps, une question très importante : celle de savoir quelle est la loi applicable à la relation contractuelle2. Les deux méthodes du Droit international privé pour résoudre cette question seront analysées : les règles de conflit de lois (2.1) et les règles matérielles internationales (2.2).
Dès lors que nous connaissons le droit applicable au contrat, nous pouvons, subséquemment, vérifier quelles sont les possibles solutions matérielles applicables. Il sera ainsi analysé, dans un second temps, les solutions portées par les droits internes des pays membres du MERCOSUR, ainsi que par les instruments internationaux de droit uniforme (règles matérielles internationales). Dans cette catégorie, il sera analysé la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandise (ci-après « CVIM ») et les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international (ci-après « Principes d’UNIDROIT »). Une attention particulière sera portée aux solutions matérielles proposées par ces instruments (force majeure et hardship), dès lors qu’ils représentent des instruments plus adaptés aux besoins du commerce internationaux et offrent des solutions neutres et plus flexibles à la résolution des conflits commerciaux internationaux.
Finalement, en sachant les solutions matérielles applicables, nous pouvons savoir dans quelle mesure les parties pourront invoquer la pandémie de la COVID-19 - ou une autre situation de crise sanitaire transnationale - comme fondement de l’inexécution de leurs obligations contractuelles, et sur la base de quels concepts et dans quelles conditions. En outre, nous pourrons savoir quelles sont les solutions existantes quand l’exécution du contrat est encore possible, mais où, en raison des circonstances, elle est devenue manifestement plus difficile et/ou onéreuse.
Cet article ne vise pas à donner une réponse à toutes les situations dans lesquelles les contrats commerciaux internationaux pourront être affectés par une pandémie - qui peuvent varier substantiellement en raison des divers facteurs (v.g. la nature du contrat, le temps de conclusion e d’exécution du contrat, les effets de la pandémie dans chaque juridiction). Il vise plutôt à servir de guide, une source d’orientation aux parties, juges et arbitres, qui devront résoudre des cas de difficulté ou d’impossibilité d’exécution d’un contrat par au moins une des parties en raison des effets négatifs des crises sanitaires transnationales comme celle de la COVID-19.
2. LES CONTRATS COMMERCIAUX INTERNATIONAUX ET LA « LOI » APPLICABLE : LES SOLUTIONS ENVISAGEABLE EN CAS DE DEFAUT D’UNE DES PARTIES
Malgré les divergences existantes sur la classification des contrats dits internationaux3, lorsque les parties concluent un contrat qui a des liens avec plus d’un État (que ça soit en raison de sa conclusion ou exécution, de la situation des parties - de leur nationalité ou domicile, ou encore de la localisation de son objet), la question de l’ensemble de règles de droit applicable à leur transaction se pose nécessairement. Cela est encore plus important dans un contexte de crise. Les occasions dans lesquelles les parties souhaitent réviser, suspendre ou mettre fin à leurs relations contractuelles sont à la lumière du jour. Parfois, les parties trouveront les réponses à ces questionnements dans leur propre contrat, mais dans la plupart des cas, la réponse n’est pas claire et un travail d’interprétation devra être effectué. Alors, où les parties trouveront-elles les solutions applicables ? C’est-à-dire, sur quel ensemble de règles juridiques les parties doivent-elles se baser pour chercher leurs réponses ?
Les règles de droit international privé des contrats sont nombreuses et hétérogènes : des normes de conflit de lois de droit interne, des conventions internationales de conflit de lois, des conventions de droit uniforme, des principes de droit d’origine privé non contraignants, la lex mercatoria… Comment ces textes dialoguent-ils ? Comment savoir quel texte s’applique à un contrat déterminé ? Pour répondre à ces questions, le droit international privé fait appel à deux « méthodes », plutôt complémentaires qu’antagonistes4. La première, la méthode des règles de conflit formelles (classiques ou traditionnelles), destinées à résoudre un conflit de lois en désignant une loi applicable pour résoudre la relation en question (un choix entre plusieurs lois émanant d’ordres juridiques différents) - cette dernière énonçant la solution au fond (2.1) ; et, la seconde, la méthode des règles matérielles uniformes (substantielles), qui énoncent directement la solution applicable au fond (2.2)5.
2.1. Les règles de conflit de lois : l’approche traditionnelle du droit international privé
Selon l’approche traditionnelle de droit international privé, on fait référence à des règles indirectes pour déterminer la « loi » qui doit s’appliquer dans un cas concret lorsqu’il existe des systèmes juridiques étrangers connectés. Chaque État défini, dans son droit interne, les règles de conflit de lois applicables (règles de source étatiques ou autonomes), c’est ainsi qu’on parle du Droit international privé brésilien, argentin, chilien, uruguayen, paraguayen... Les États peuvent également tenter d’harmoniser les règles de conflit des lois, en adoptant des conventions bilatérales et/ou multilatérales portant des règles conflictuelles (règles de source internationales).
Sur le continent européen, par exemple, nous pouvons mentionner comme exemple des règles de conflit de source internationale (ou « communautaire »), l’actuel Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Règlement Rome I »)6. En Amérique latine, à ce jour, quatre conventions internationales (règles de source internationales) sont en vigueur en la matière : le Traité de droit civil international (« Traité de Montevideo de 1889 ») et sa version revue de 19407, la Convention sur le droit international privé (« Code Bustamante »)8, et la Convention Interaméricaine sur la loi applicable aux contrats internationaux de 1994 (la « Convention de Mexico »)9.
Les Traités de Montevideo de 1940 sont toujours en vigueur en Argentine, au Paraguay et en Uruguay ; Le Code Bustamante, au Brésil, en Bolivie, au Chili, en Costa Rica, à Cuba, au Équateur, au Salvador, au Guatemala, à Haïti, au Honduras, au Nicaragua, au Panama, au Pérou, en République Dominicaine, au Venezuela et, plus récemment, dans les Bahamas ; et la Convention de Mexico, au Mexique et au Venezuela. Chacun de ces instruments juridiques posent des règles concernant leurs champs d’application matériel, spatial, et également temporel10.
En parallèle de ces règles contraignantes, des instruments non-contraignants (soft law) portant des règles de conflits peuvent être utilisés par les juges et arbitres comme des sources complémentaires dans la résolution de conflits. Dans cette catégorie, nous pouvons mentionner les Principes de la Haye sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux du 19 mars 2015 (« Principes de la Haye »)11, et le très récent Guide on the law applicable to international commercial contracts in the Americas, publié par l’Organisation des États Américains (OEA) en février 2019 (« Guide de l’OEA »)12.
Il est important de rappeler qu’en matière de contrats internationaux, l’application de la méthode conflictuelle est assez originale. Les parties ont, en principe, la liberté de désigner la loi qui régira leur contrat, sans que leur choix ne soit limité à une palette de pays prédéterminés par tel ou tel élément inhérent à la situation13. Ce principe, connu sur le nom de l’autonomie de la volonté, est amplement accepté dans le monde14. Nonobstant cette acceptation générale, quelques pays sont encore réticents à accepter le principe. En Amérique Latine, par exemple, des trois conventions internationales existantes, seulement une accepte expressément la loi de l’autonomie et définit ses limites : la Convention de Mexico. Malheureusement, seulement deux pays l’ont ratifié : le Mexique et le Venezuela, ce qui diminue drastiquement son champ d’application.
De mode général, en l’absence de règles internationales, les règles conflictuelles d’origine nationale (étatique) s’imposent. Tandis que la plupart des pays, comme le Brésil, ont, dans un premier temps, adopté comme règle de rattachement le lieu de la conclusion pour déterminer la loi applicable aux contrats, les pays de la région du « Plata » (l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay) ont adopté le critère du lieu d’exécution, d’influence Savignienne. La plupart d’entre eux n’ont pas mentionné expressément, dans leurs législations, si le principe de l’autonomie de la volonté était accepté (ou interdit)15, Seulement trois des pays membres du MERCOSUR ont accepté expressément le principe dans leur droit interne : l’Argentine, le Venezuela (suspendue depuis 2017)16, et le Paraguay17.
En plus de cela, les questions concernant la possibilité d’un choix tacite, la mise en œuvre du choix de la loi applicable et ses limites sont encore très discutées. Des questions comme la possibilité pour les parties de choisir une loi sans aucun lien avec le contrat, de choisir des règles de droit non-étatiques18, la possibilité du dépeçage, entre autres, ne connaissent pas de réponses harmonisées dans la région. En raison du vide normatif existant, ces solutions sont souvent laissées à la charge de la doctrine et de la jurisprudence. De plus, à l’existence de plusieurs courants doctrinaux - parfois opposés, s’ajoute la réticence des tribunaux étatiques à accepter une pleine liberté en matière de choix de la loi applicable aux contrats internationaux. D’ailleurs, le nombre de décisions est très faible, ce qui pose encore une difficulté pour l’application de ces normes.
Au contraire, la liberté des parties est plus étendue et admise sans difficulté en matière d’arbitrage. Le principe de l’autonomie de la volonté est un des principes fondamentaux de l’arbitrage, reconnu par des conventions internationales et lois nationales relatives à l’arbitrage, comme par exemple par l’Accord sur l’arbitrage du MERCOSUR et par plusieurs lois nationales des États Latino-américains19. En plus de cela, le choix d’un droit non-étatique, comme reconnu les Principes d’UNIDROIT, pour régir le contrat est largement accepté en matière d’arbitrage20.
Bien sûr, cette liberté n’est pas sans limites. Souvent, les règles de conflit de lois, qu’elles soient de source interne ou internationale, établissent des limites à la mise en œuvre de la loi applicable. Les limites les plus importantes et les plus reconnues au monde sur le sujet sont les suivants : le respect des règles impératives du for (les « lois de police ») et l’ordre public (« public policy »)21. Ces règles varient d’un système à l’autre car elles concernent des questions sensibles qui méritent une protection ou une réglementation particulière (par exemple, la protection des consommateurs, le droit de la concurrence, le combat à la corruption, entre autres)22.
Pour conclure, la règle de conflit de lois est la méthode traditionnelle du droit international privé et indique la loi applicable, celle-ci donnant alors la solution à la question. En raison de la pluralité des règles existantes, une analyse au cas par cas s’impose, afin de savoir, en raison des caractéristiques du contrat en analyse (champ d’application matériel, spatial et temporal) quelle sera la norme conflictuelle applicable et, par conséquent, le droit applicable au fond. Cela va dépendre également du juge saisi, si celui-ci est-ce un juge étatique ou un juge privé, ce dernier ayant une liberté plus étendue pour l’acceptation de loi désignée par les parties et même l’application d’une loi non-étatique, pour régir le contrat.
Par soucis de lisibilité, il est impossible ici d’analyser en détail les droits internes de tous les États membres du MERCOSUR, afin de savoir quelles sont les solutions matérielles nationales existantes en situations de crises sanitaires, comme celui de la COVID-19. D’un point de vue général, ces États prévoient l’exemption de responsabilité en cas de force majeure et de « cas fortuits » dans leurs législations internes. Le Code Civil et Commercial Argentin, par exemple, à l’article 1730 établit qu’il « est considéré comme un cas fortuit ou un cas de force majeure un fait qui n’aurait pas pu être prévu ou que, ayant été prévu, il n’aurait pas pu être évité. Le cas fortuit ou la force majeure exonère de toute responsabilité, sauf disposition contraire. » Le Code précise que la force majeure et le cas fortuit sont synonymes23. Le Code civil brésilien (art. 393) va dans le même sens en définissant la force majeure et cas fortuit comme des situations dont « l’occurrence était impossible d’empêcher ou d’empêcher ses effets »24. Au Paraguay, d’une manière générale, le Code civil dispense un contractant de répondre pour son manque de conformité contractuelle lorsque, en raison de cas de force majeure ou d’un cas fortuit, ladite obligation n’a pas pu être exécutée (articles 426, 628 - 632 et 721), sans cependant faire une définition précise de ces deux instituts25. De la même manière, le Code civil uruguayen (art. 1.343) et le Code civil vénézuélien (art. 1.272), prévoient une exemption de responsabilité à la partie en défaut en cas de force majeure ou cas fortuit, sans pour autant définir spécifiquement les conditions qu’un événement doit remplir pour être considéré comme tels26.
D’autre part, la théorie de l’imprévision ou de l’onérosité excessive (clause « rebus sic stantibus ») est reconnue par une grande partie des pays du MERCOSUR. Au Brésil et en Argentine, les droit internes respectifs prévoient la théorie pour les contrats de longue durée. L’article 478 du Code civil brésilien établit que, pour les contrats dont l’exécution est continuée ou différée, lorsque l’exécution d’une des parties devient « excessivement contraignante », avec un avantage extrême pour l’autre, en raison d’événements extraordinaires et imprévisibles, le débiteur peut demander la résiliation du contrat. L’article 1011 du Code civil et commercial argentin, à son tour, établit un devoir de renégociation de bonne foi aux parties qui souhaitent mettre fin à un contrat de longue durée. Au Paraguay, la théorie est aussi applicable aux contrats unilatéraux. L’article 672 du Code civil paraguayen établit que dans les contrats à exécution différée, si des circonstances imprévisibles et extraordinaires surviennent qui rendent la provision excessivement onéreuse, le débiteur peut demander la résolution « des effets du contrat pas encore exécutés ». L’article précise également que « la résolution ne sera pas exécutée lorsque le caractère onéreux entre dans le cadre normal du contrat ou si le débiteur est coupable » et que l’autre partie « peut éviter la résiliation du contrat en offrant sa juste modification ». A l’inverse, en Uruguay et au Venezuela la théorie de l’imprévision n’est pas traitée par les législations internes27.
2.2. Les règles matérielles internationales : les solutions apportées par la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandise et par les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international
En matière des contrats commerciaux internationaux, ce n’est souvent pas le droit matériel de source interne (national) qui s’applique, mais des normes matérielles internationales. Ces dernières, sont des normes directes, qui donnent directement une solution de fond. Elles coexistent aves les règles matérielles internes, mais apportent des solutions neutres et plus adaptées aux singularités des relations privées internationales. Elles sont, ainsi, des règles originales, propres à assurer la sécurité des situations juridiques internationales, qui sont, pour ces caractéristiques propres, des situations à risque28. Entre elles, deux méritent une attention spéciale, pour son importance dans les États membres du MERCOSUR : la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM) et les Principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international.
En matière de contrat de vente internationale - un des contrats le plus importants du commerce international - un effort législatif entrepris au début du XXème siècle a abouti avec l’adoption à Vienne, le 11 avril 1980, par la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (CDNUDIC) de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM). Cette convention, considérée comme un des traités fondamentaux du droit commercial international est entrée en vigueur le 1er janvier 1988. A ce jour, elle compte 93 États parties, couvrant tous les continents du monde29.
En matière de vente internationale de marchandises, c’est la CVIM qui s’appliquera à la totalité des États membres du MERCOSUR et aussi en grande partie des États associés. La Convention s’applique à ce jour dans tous les États membres du MERCOSUR : l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela (suspendu depuis 2017)30. Pour les États associés, elle a été ratifiée par le Chili, la Colombie, l’Équateur et le Pérou. Seulement la Bolivie, la Guyane et le Suriname ne l’ont pas ratifié.
La CVIM s’applique à tous les contrats de vente de marchandises conclus entre des parties ayant leur établissement dans des États contractants. Dans ces cas, la CVIM s’appliquerait directement, ce qui éviterait d’avoir à recourir aux règles de droit international privé pour déterminer la loi applicable au contrat31. Ainsi, pour un contrat conclu entre une société ayant son siège social en Argentine et une société dont le siège social est au Brésil ou au Paraguay, par exemple, c’est la CVIM qui régira le contrat (sauf si les parties excluent expressément son application)32. La CVIM peut également s’appliquer à un contrat de vente internationale de marchandises lorsque les règles de droit international privé désignent comme loi applicable celle d’un État contractant (v.g., une clause désignant la loi uruguayenne, chilienne ou péruvienne comme applicable) ou si les parties en décident ainsi, qu’elles aient ou non leur établissement dans un État contractant33.
En ce qui concerne son champ d’application matériel, la CVIM régit les contrats de vente internationale de marchandises entre les entreprises privées, à l’exclusion de la vente aux consommateurs, de la vente de services et celle de certains types spécifiques de marchandises (définies à l’art. 2). Certaines questions liées à la vente internationale de marchandises, comme la validité du contrat et l’effet du contrat sur la propriété des marchandises vendues sont exclues du champ d’application de la Convention.
Par ailleurs, à côté de ce droit matériel international spécial des contrats commerciaux internationaux (ou « sectoriel », comme l’affirme Eric Loquin), s’est forgé un droit matériel général des contrats du commerce international. Celui-ci est formé de principes généraux créés par les tribunaux arbitraux, rassemblés dans des compilations ou codifications privés à caractère non contraignant34. Quelques auteurs l’appellent également de « droit spontané » ou « lex mercatoria »35. Il s’agit des règles non-contraignantes, formées par des contrats-types, des principes généraux, des usages de manière générale, qui sont spontanément créés et suivis par ceux qui sont les usagers mêmes du commerce international. Ces règles non contraignantes peuvent soit être incorporées aux contrats par la volonté des parties (que ça soit en tant que droit même ou en tant que simple disposition contractuel - à dépendre de l’ordre juridique que l’analyse)36, soit servir d’appui au juge ou arbitre, comme source d’interprétation37.
Les Principes d’UNIDROIT - un des exemples le plus important de cette catégorie de normes - viennent complémenter les règles de la CVIM et s’appliquent en dehors d’elle, pour tous les types de contrats internationaux. Ces principes ont été élaborés par des groupes de travail internationaux composés d’éminents juristes sous les auspices de l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT)38. Les Principes sont actuellement à leur quatrième édition (version de 2016). Ils seront applicables tant que : les parties accordent expressément pour leur application ou si elles établissent que leur contrat sera régi par des principes généraux de droit ou par la lex mercatoria, ou encore, quand aucun choix n’a été fait. Ils peuvent également s’appliquer indirectement si le juge ou arbitre les utilise pour interpréter ou compléter le droit applicable39. Ils sont aussi très souvent utilisés comme de modèle pour la rédaction des contrats commerciaux internationaux40.
Alors, quelles sont les solutions concrètes existantes offertes par la CVIM et par les Principes d’UNIDROIT pour les parties affectées dans leurs relations contractuelles pour les impacts négatifs d’une pandémie transnationale comme celle de la COVID-19 ?
En ce qui concerne l’inexécution des contrats, l’article 79 de la CVIM permet de dégager une partie défaillante de son obligation de verser des dommages-intérêts si l’inexécution est due à un « empêchement » qui satisfait certaines conditions41. Cet article évite d’employer des termes caractéristiques d’un droit national particulier, tels que hardship, force majeure ou encore Act of God, en décrivant plutôt de façon factuelle les circonstances qui peuvent excuser l’inexécution d’une obligation42. Il précise les circonstances dans lesquelles une partie « n’est pas responsable » de l’inexécution de ses obligations et indique les conséquences de cette exonération. Le paragraphe 1er de l’article 79 exonère ainsi une partie qui n’a pas accompli l’une de ses obligations, si les conditions cumulatives suivantes sont remplies:
Existence d’un empêchement extérieur à la volonté de la partie (« un empêchement indépendant de sa volonté ») ;
Cet empêchement doit être la cause de l’inexécution, il doit avoir un lien de causalité entre l’inexécution et l’empêchement (« inexécution est due à un empêchement (…)»);
L’empêchement était tel qu’on ne pouvait raisonnablement attendre de cette partie «qu’elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat» - c’est-à-dire, qu’il était raisonnablement imprévisible pour cette partie au moment de la conclusion du contrat ;
La partie ne pouvait pas prévenir ou surmonter l’empêchement ou ses conséquences.
Le paragraphe 2 de l’article 79 s’applique lorsqu’une partie a chargé un tiers « d’exécuter tout ou partie du contrat » et que ce tiers ne remplit pas ses obligations. Dans un tel cas, la partie qui a chargé le tiers de l’exécution n’est exonérée de sa responsabilité que si les conditions du paragraphe 1er sont remplies (points « i » à « iv » ci-dessus) et si le tiers est aussi exonéré dans les mêmes conditions43.
Le paragraphe 3 dudit article ajoute que cette exonération est temporaire et liée à la durée de l’empêchement, c’est-à-dire, elle produit effet seulement « pendant la durée de l’empêchement ». Le paragraphe 4 impose un devoir d’information : la partie qui n’a pas exécuté son obligation doit avertir l’autre partie de l’empêchement et de ses effets sur sa capacité d’exécuter. Si l’avertissement n’arrive pas à destination dans un « délai raisonnable » à partir du moment où la partie qui n’a pas exécuté a connu ou aurait dû connaître l’empêchement, celle-ci est tenue à des dommages-intérêts du fait de ce défaut de réception.
Selon le Précis de jurisprudence de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) concernant la CVIM (dernière version de 2016), l’article 79 a été invoqué devant des juridictions avec une certaine fréquence, mais sans grand succès. Des vendeurs ont réussi à obtenir une exonération dans cinq affaires mais, dans vingt-sept autres au moins, leurs demandes d’exonération ont été rejetées. D’autre part, des acheteurs se sont vu accorder le bénéfice de l’article 79 dans quatre affaires seulement, et ont été déboutés dans quatorze autres44. Analysons quelques jurisprudences qui ont analysé l’application de cet article.
La question de l’empêchement et du degré de difficulté auquel une partie doit être confrontée dans l’exécution de ses obligations pour pouvoir prétendre à une exonération en vertu de l’article 79 a été traitée par un nombre considérable de décisions. La Cour de cassation belge a précisé que l’empêchement invoqué au paragraphe 1 de l’article 79 de la CVIM peut comporter des changements de circonstances qui rendent l’exécution très difficile pour l’une des parties sur le plan économique, même si l’exécution n’est pas devenue littéralement impossible45. Une décision arbitral allemande a comparé la règle de l’article 79 aux règles d’exonération découlant des principes juridiques nationaux de force majeure, d’impossibilité économique ou d’onérosité excessive des circonstances, en énonçant que cet empêchement doit être un risque incontrôlable ou un événement totalement exceptionnel comme un cas de force majeure, d’impossibilité économique ou de sévérité excessive des circonstances46.
En ce qui concerne l’inexécution par les fournisseurs (tiers), dans plusieurs affaires, des vendeurs ont présenté la défaillance du fournisseur comme un empêchement qui, selon eux, devrait les exonérer de leur propre responsabilité pour le fait que des marchandises n’ont pas été livrées. Plusieurs décisions indiquent que le vendeur assume normalement le risque d’une éventuelle inexécution par le fournisseur et que, de manière générale, il ne sera pas exonéré de sa responsabilité si sa propre inexécution est causée par la défaillance de son fournisseur47.
L’évolution du coût de l’exécution a été invoquée à de nombreuses reprises par des parties en défaut qui demandaient une exonération de responsabilité, tant de la part des vendeurs (augmentation du coût de l’exécution du contrat), que de la part des acheteurs (baisse de la valeur des marchandises). Ces arguments ne furent pas admis et plusieurs juridictions ont expressément affirmé par la suite qu’une partie est censée assumer les risques de fluctuation du marché et d’autres facteurs de coût modifiant les incidences financières d’un contrat48.
La question de l’extériorité de l’empêchement, c’est-à-dire, que l’empêchement doit être indépendant de la volonté de la partie demandant a également été analysée par plusieurs décisions. Selon certaines d’entre elles, il y a empêchement indépendant de la volonté de la partie en défaut lorsque la règlementation d’un pays ou des mesures prises par une autorité publique empêchent cette partie d’exécuter ses obligations49. Cet argument est très important en ce qui concerne l’actuelle pandémie et les mesures prises par les États en conséquence de celle-ci. Une attention spéciale doit être portée au temps de conclusion du contrat et si à ce moment les parties avaient (ou pourraient raisonnablement avoir) connaissance des restrictions imposées par les États50. Une décision arbitrale concernant l’épidémie de SRAS en Chine peut être mentionnée. Dans cette affaire, le tribunal a considèré qu’au moment de la conclusion du contrat, le vendeur avait la possibilité de prendre en considération l’influence du SRAS en Chine (qui avait commencé quelques mois avant la signature du contrat) et que cela ne devrait pas être considéré comme un empêchement au sein de l’article 79 de la CVIM dès lors qu’il était prévisible par les parties51.
Sur la deuxième partie du paragraphe 1er de l’article 79 (question de savoir si la partie en défaut ne pouvait pas « prévenir » ou « surmonter » l’empêchement ou « ses conséquences »), il a été jugé qu’un vendeur de tomates n’était pas exonéré pour sa non-livraison des produits alors que des pluies violentes avaient endommagé la récolte dans son pays, provoquant une augmentation des cours sur le marché. La récolte n’ayant pas été détruite dans sa totalité, la juridiction a jugé que le vendeur aurait pu l’exécuter quand même et que la réduction de l’offre de tomates et l’augmentation de leur coût étaient des empêchements qu’il pouvait surmonter52. Dans certaines affaires, des juridictions ont tenté de savoir si la partie demandant à être exonérée aurait pu raisonnablement prévenir l’empêchement en procédant à une exécution analogue revenant à une « substitution commercialement raisonnable ». Un tribunal arbitral américain a analysé l’empêchement d’importation imposé par un État en raison de l’épidémie de la grippe aviaire. L’acte restrictif adopté par l’État roumain avait empêché le vendeur (une société américaine) de livrer la marchandise (poulet) dans le port convenu dans le contrat (un port en Roumanie). Dans ce cas le tribunal arbitral a considéré que le vendeur n’avait pas respecté l’article 79 de la CVIM dès lors qu’il n’a pas livré les marchandises en un autre port (comme avait été proposé par l’acheteur) et, donc, n’a pas essayé de surmonter les conséquences de l’empêchement53. Cette question est également très importante durant la pandémie actuelle et une analyse du cas concret devra être faite afin de savoir si la partie en défaut aurait pu exécuter le contrat d’une façon différente (v.g., acheter les marchandises d’un autre fournisseur, livrer dans un autre local, etc.).
D’autre part, de nombreuses décisions ont énoncé que, pour appliquer correctement l’article 79, il convient avant tout d’évaluer la répartition des risques dans la relation contractuelle afin de savoir quels risques la partie qui cherche l’exonération avait assumé lors de la conclusion du contrat. La question principale est, ainsi, de savoir si cette partie a assumé le risque de l’évènement qui est à l’origine de son manquement54.
Enfin, une dernière question doit être étudiée. Les parties peuvent prévoir dans leurs contrats des clauses de force majeure et/ou de hardship. Comment ces clauses contractuelles s’articulent-t-elles avec l’article 79 de la CVIM ? Certaines décisions ont interprété l’article 79 en parallèle avec les clauses de force majeure du contrat liant les parties. Dans une décision d’un tribunal allemand, un vendeur ne fut pas exonéré pour la non-livraison des marchandises, que ce soit en application de l’article 79 ou en application de la clause contractuelle de force majeure, ce qui laisse supposer que les parties n’excluent pas l’application de l’article 79 sur le simple fait d’avoir une clause de force majeure en leur contrat55. D’autre part, une autre décision, cette fois d’un tribunal arbitral russe, a rejeté la demande d’exonération de l’acheteur au motif que les circonstances qu’il présentait comme des cas de force majeure ne figuraient pas dans la liste exhaustive des cas de force majeure contenue dans le contrat qui liait les parties56. Dans le cas d’une pandémie, une attention spéciale doit être portée aux dispositions contractuelles concernant la liste des situations qui peuvent être considérées comme force majeure ou hardship. Il faut savoir si cette liste est exhaustive ou donne seulement des exemples et si, par exemple, d’autres mentions plus générales tels que « catastrophes naturelles », « pestes » ou « urgences sanitaires », par exemple, peuvent aussi englober la pandémie actuelle liée à la COVID-19 ou d’autres. Une analyse de chaque cas concret devra être poursuivie.
Comme nous avons affirmé auparavant, la CVIM est souvent interprétée avec l’appui des Principes d’UNIDROIT. Il faut se rappeler aussi que ceux-ci s’appliquent à tout type de contrat international, différemment de la CVIM, qui s’applique seulement aux ventes internationales de marchandises. Par ailleurs, ils représentent un système neutre et flexible qui peut être utilisé par les parties, juges et arbitres dans la résolution des conflits contractuels57. Analysons les solutions matérielles proposées par les Principes d’UNIDROIT en cas de problèmes relevant de l’exécution des contrats internationaux. Ceux-ci, contrairement à la CVIM, traitent expressément et séparément le hardship (Articles 6.2.1, 6.2.2 et 6.2.3) et la force majeure (Article 7.1.7)58.
Selon l’art. 6.2.2 des Principes d’UNIDROIT une situation est considérée comme relevant du hardship lorsque surviennent des événements qui altèrent « fondamentalement » l’équilibre des obligations contractuelles. L’article ajoute quatre conditions supplémentaires pour l’occurrence du hardship : (a) que ces événements sont survenus ou ont été connus de la partie lésée après la conclusion du contrat ; (b) que la partie lésée n’a pu, lors de la conclusion du contrat, raisonnablement prendre de tels événements en considération ; (c) que ces événements échappent au contrôle de la partie lésée ; et (d) que le risque de ces événements n’a pas été assumé par la partie lésée. Le juge ou arbitre devra analyser au cas par cas si l’altération est, ou non, « fondamentale »59. En outre, les faits nouveaux doivent soit augmenter le coût de l’exécution des obligations, soit diminuer la valeur de la contre-prestation60.
L’article 6.2.3 établit les effets du hardship. En cas de hardship, la partie lésée pourra demander la renégociation du contrat afin d’adapter le contrat aux nouvelles circonstances. Cette demande doit être « motivée » et être faite « sans retard indu ». Cela veut dire que la demande d’ouverture de négociation doit être faite aussi vite que possible dès l’occurrence de la situation de hardship. Le délai précis dépendra des circonstances de l’espèce. La demande doit également indiquer les raisons sur lesquelles la demande est fondée, afin de permettre à l’autre partie de bien comprendre la situation. Le respect des principes de la bonne foi et de la coopération, également prévus par les Principes, doivent être observés. Le paragraphe second de l’article ajoute que la demande ne donne pas par elle-même le droit à la partie lésée de suspendre l’exécution de ses obligations, qui ne peut se justifier que dans des circonstances extraordinaires. Si les parties n’arrivent pas à un accord amiable dans un délai raisonnable, elles pourront saisir le tribunal pour trancher la question. Le juge saisi pourra ainsi, soit mettre fin au contrat à la date et aux conditions qu’il fixe, soit adapter lui-même le contrat en vue de rétablir l’équilibre des prestations61.
En ce qui concerne la force majeure, l’article 7.1.7 donne une définition très proche de celle de la CVIM : « un empêchement qui échappe à son contrôle [celui du débiteur] et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre de lui qu’il le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’il le prévienne ou le surmonte ou qu’il en prévienne ou surmonte les conséquences ». Dans ce cas, le débiteur sera exonéré des conséquences de son inexécution62. L’objectif de l’article est ainsi d’exonérer le débiteur de responsabilité de la réparation des dommages. Il ne limite pas les droits de la partie qui n’a pas obtenu l’exécution du contrat à la résiliation du contrat. Parfois, l’empêchement rendra impossible toute exécution ; mais dans de nombreux autres, il retardera simplement l’exécution et l’effet de l’article sera d’octroyer un délai supplémentaire pour celle-ci. La partie lésée pourra ainsi, soit résoudre le contrat, soit suspendre son exécution, ou encore exiger les intérêts d’une somme échue (paragraphe 4). Comme pour le hardship, le débiteur doit notifier au créancier l’existence de l’empêchement et les conséquences qui en découlent sous peine du paiement de dommages-intérêts (paragraphe 3)63.
Dans certains cas, il peut y avoir des situations de fait qui peuvent être considérées comme des cas de hardship et également de force majeure. Dans de tels cas, les commentaires des Principes disposent que « il appartient à la partie touchée par ces événements de décider du moyen à invoquer. Si elle invoque la force majeure, c’est pour justifier l’inexécution de sa prestation. D’autre part, si elle invoque le hardship, c’est en premier lieu en vue de renégocier les clauses du contrat afin de permettre au contrat de continuer à exister avec des clauses révisées »64.
3. CONCLUSIONS GENERALES
Nous avons analysé tout au long de cet article la réponse du Droit international privé des contrats aux parties qui se voient en difficulté ou dans l’impossibilité d’accomplir leurs obligations contractuelles en raison d’une situation de crise transnationale, comme la pandémie de la COVID-19. L’impact mondial d’une telle situation de crise est lourd de conséquences, et la manière de régler des différends contractuels qui en découlent n’a généralement pas été anticipée.
Nous avons vu que, pour identifier les outils disponibles aux parties dans une telle situation, il faut tout d’abord identifier les règles de droit applicables. Et, sur ce point, nous sommes face à une multiplicité des normes et méthodes hétérogènes : des règles de conflit de lois des différentes sources, des règles matérielles internationales, des principes généraux, la lex mercatoria. Enchevêtrée dans ces ramifications méthodologiques, on trouve la question de l’autonomie de la volonté. Amplement acceptée dans le monde, elle n’est pas expressément accueillie par la totalité de pays membres du MERCOSUR, raison pour laquelle l’insécurité juridique et la recherche de la solution au fond se complique encore plus. Par ailleurs, une fois les règles de droit applicables au contrat connues, il faut demeurer attentif à ce qui peut être considéré comme lois de police et normes d’ordre public. De telles normes, en raison de leur importance, peuvent écarter l’application de la loi qui, normalement, devrait s’appliquer au contrat en raison de la règle de conflit applicable.
Dès lors que nous avons identifié les règles matérielles applicables (nationales ou internationales), il faut chercher la solution au fond qu’elles proposent. La plupart des lois étatiques offrent des solutions d’exonération de responsabilité aux parties lorsque qu’elles se voient empêchées d’exécuter leurs obligations en raison des cas exceptionnels considérés comme des cas de force majeure ou des cas fortuit. D’autres systèmes juridiques prévoient une renégociation du contrat lorsque le contrat peut continuer à être exécuté mais que l’équilibre contractuel est rompu en raison d’un changement des circonstances (hardship ou clause « rebus sic stantibus »). Quelques pays du MERCOSUR n’ont pas de dispositions expresses concernant ce dernier concept. En outre, chaque ordre juridique peut donner une interprétation plus ou moins large de ces deux instruments typiques de la pratique du commerce international, en ajoutent un risque aux relations commerciales internationales.
Malgré ces divergences, nous avons aussi vu que les solutions posées par le droit interne ne sont pas toujours directement applicables aux contrats internationaux. Pour une grande partie du commerce international, ceux de la vente internationale de marchandises, la CVIM, s’appliquerait. Cette Convention s’applique à tous les États membres du MERCOSUR et à la grande majorité des États associés l’ont ratifiée. Elle devient ainsi le vrai droit matériel des contrats de vente internationale pour ces pays. Par ailleurs, il existe encore des principes généraux de droit ou ladite lex mercatoria qui peuvent être applicables, soit parce que les parties l’ont expressément incorporée dans leurs contrats, soit parce que les juges ou arbitres l’utilisent comme loi applicable en l’absence de choix ou comme source d’interprétation supplémentaire. Les Principes d’UNIDROIT, entrent dans cette catégorie et s’appliquent pour tout type de contrat international.
Tant la CVIM que les Principes d’UNIDROIT posent des règles autonomes et flexibles concernant l’inexécution des contrats et ses conséquences. Ainsi, dans un cas exceptionnel de pandémie transnationale, comme celle de la COVID-19, les deux instruments prévoient des règles d’exemption de responsabilité en cas de hardship et force majeure.
Il n’existe pas de solution unique à tous les contrats affectés par une pandémie. L’appréciation des solutions devra être faite au cas par cas : tout dépendra de la « loi » applicable au contrat, du moment où le contrat a été conclu, de la nature des prestations, de la qualité des parties, où il était censé être exécuté, quel était le stade de la pandémie au sein de l’État et, enfin, comment les parties ont réparti les risques dans le contrat. En tout état de cause, le scénario est incertain et il fera preuve de bon sens tant de la part des acteurs du commerce international, que des arbitres et juges, afin que les relations juridiques soient préservées et que la sécurité juridique et la justice matérielle prévalent dans les relations commerciales internationales.
Le règlement amiable du conflit semble a priori la meilleure solution. L’actuelle crise transnationale peut surtout servir d’exemple aux juristes dans l’élaboration des contrats internationaux. Ces derniers devront dorénavant prendre en considération, avec suffisamment de précision, les clauses d’exonération de responsabilité des parties et leurs effets afin de traiter avec précision et clarté la survenance d’événements exceptionnels, comme ceux comparables à la crise actuelle de la COVID-19. Par exemple, il est important de préciser dans le contrat la loi applicable, bien analyser le choix du for compétent, et de rédiger avec soin les clauses contentant les événements susceptibles de revêtir les traits de la force majeure, du cas fortuit et du hardship.